De Maria Montessori, tout le monde ou presque a déjà entendu parler de la méthode. Mais connaissez-vous sa vie et son parcours si singulier qui l'a menée à créer cette célèbre méthode d'apprentissage ? Une vie passionnante pour un destin où la petite histoire rencontre la grande histoire... et celles de nombreux enfants d'hier, d'aujourd'hui et de demain.
Une biographie audacieuse au format BD
Place à l'OVNI littéraire La Maison des enfants, Maria Montessori, observer pour apprendre. Si la biographie est un exercice périlleux, le format de la bande dessinée est audacieux. L'alliance des deux est un défi relevé avec brio par le tandem Catarina Zandonella à l'illustration et le toulousain Halim au scénario. Le trait doux, éminement poétique, de la dessinatrice offre une lecture délicate d'où s'échappe une humanité émouvante. Une fois, de plus, la créativité éxigeante de Halim n'entre dans aucune case. Elle ne supporte aucune étiquette avec cette narration qui sollicite notre imagination et notre sensibilité. Ici, les lignes du temps se confondent et se font écho dans un travail de documentation phénoménale pour un destin hors du commun. Voilà un puissant hommage à Maria Montessori, grande dame qui bouleverse par sa contemporanéité. À lire absolument.
Maria Montessori en quelques mots
Mondialement connue pour la méthode pédagogique qui porte son nom, Maria Montessori vécut une vie loin des conventions. Née en 1870 dans un milieu bourgeois, c'est envers et contre tous qu'elle devient l'une des premières femmes médecins en Italie et qu'elle bouleverse les méthodes d'apprentissage des enfants. Son engagement en leur faveur ne faiblira jamais et elle a essaimé sa pédagogie sa vie durant, à travers le monde. Aux Pays-Bas, durant les années 1930, alors que Maria est contrainte de quitter son pays tombé sous la coupe du fascisme, l'une des élèves de son école s'appelle Anne Frank...
Entretien avec Halim - auteur de La Maison des Enfants
Comment est né le projet d’une bande-dessinée sur le combat de Maria Montessori pour un apprentissage libre ?
Ce projet était initialement une idée qui tenait particulièrement à cœur à Caterina Zandonella. Un jour, elle m’a dit qu’elle avait cherché en vain des scénaristes BD, pour écrire un scénario sur le sujet. Apparemment, aucun d’entre eux ne voyait comment raconter cette vie, qui est à priori, pas assez haletante pour faire une BD, et encore moins un roman graphique. De plus, on ne dispose pas de beaucoup d’information sur la vie de Maria Montessori, en dehors de sa pédagogie. J’ai trouvé que c’était un superbe défi à relever. C’était excitant de me frotter à mes convictions : je crois encore qu’on peut tout raconter de manière passionnante. Même la vie des betteraves peut devenir plus intéressante qu’Avatar, si on la raconte bien. L’imagination peut tout faire ! Du coup, Il me suffisait juste de trouver le bon angle d’attaque. J’ai approfondi les maigres éléments que j’avais sur sa vie en pensant à son fils, Mario. C’était ma clé d’entrée.
"En analysant la contemporanéité de Maria Montessori (Droit des femmes, 2 guerres mondiales, etc.), je me suis rendu compte que la meilleure façon de rendre hommage à cette grande dame, n’était pas de parler d’elle, mais de son œuvre. Sa vie était tout entière contenue dedans."
Avec La Maison des Enfants, vous endossez la casquette de scénariste, Catarina Zandonella est la dessinatrice. Comment s’est passée cette collaboration ?
Caterina vient principalement de la littérature jeunesse. Étant une formidable et talentueuse illustratrice pour enfants, elle était toute destinée à illustrer la vie de Maria Montessori ; mais elle avait besoin d’aide pour la mise en scène BD. Alors, j’ai écrit un séquencier et aussi réalisé le storyboard de l’album, pour qu’elle n’ai plus qu’à le dessiner à sa manière. Elle a eu, bien entendu, la liberté totale de réinterpréter ma mise en scène, et même parfois de la modifier à sa guise. La « continuité dialoguée » servait de fil rouge. Mon storyboard était simplement une base sur laquelle Caterina pouvait s’amuser et exprimer tout son talent avec ce qui fait sa spécificité : l’imaginaire enfantin.
Les lignes du temps se mélangent dans votre ouvrage, pourquoi ce parti pris ?
Sur cet album je voulais suivre la gestation de l’œuvre. D’une obsession. C’est moins l’histoire d’une vie, que celle d’une idée qui devient « œuvre » opérante. Et raconter cela c’est comme procéder par « associations de pensées », sauter d’une idée à une autre, suivre une logique narrative intérieure qui ne s’embarrasse pas de chronologie, mais fait résonner des étapes clés de la vie de Maria Montessori. À chaque thème correspondait ainsi une époque ( la guerre, l’inde, l’Afrique etc..). D’où les allers retours temporels, qui n’avaient d’autre but que de servir au mieux l’histoire et le propos. Je suivais avant tout une idée : L’œuvre de Maria Montessori. C’est l’album d’une pédagogie vivante et en constante évolution. À ses yeux, nous n’avons aucune idée de l’avenir, et le passé est encore moins fiable, et même trompeur. Ce qui donne vie au temps, c’est seulement la perception que nous en avons. Je sais qu’elle s’est rendu compte de cela vers la fin de sa vie, au contact de l’inde, où la perception du temps, comme le système éducatif, ne sont pas linéaires.
Je crois que c’est parce que j’aime les histoires à tiroirs (du type les polyphonies, enquêtes etc.) les narrations complexes, et pas trop linéaires, qui permettent de donner une densité et un souffle romanesque à l’histoire.
Un travail de documentation considérable a été fourni, tant sur la vie de Maria Montessori, l’émancipation des femmes, la considération pour les enfants que la politique, l’histoire et la pédagogie. Comment avez-vous fait ?
Depuis mes derniers albums (Petite Maman et Falloujah, qui ont nécessité beaucoup de recherches), j’ai développé cette capacité à synthétiser n’importe quel sujet et en trouver une substance narrative. Et comme « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », je vais beaucoup plus vite maintenant. C’est très gratifiant et amusant. Pour ce scénario, je me suis demandé qui était Maria, ce que pouvait être la vie des femmes à son époque, des enfants, la grande histoire humaine qui traversait leur vie, et que pouvait être la pédagogie à ce moment-là. J’ai retenu les principes clés, les idées centrales. Pour avoir une vision du monde qui soit contemporaine à Maria Montessori. Cela m’a aidé à revêtir le regard que pouvait avoir une femme comme elle, avec sa condition, sa sensibilité, son temps de vie et ses préoccupations.
On découvre avec La Maison des Enfants qu’Anne Franck a fréquenté l’école de Maria Montessori. Je suis ressortie bouleversée par cette révélation…
J’ai aussi été bouleversé par cette découverte. Je l’ai appris au cours de mes lectures, mais il n’y avait vraiment rien de plus comme information, mis à part le nombre d’années (de 3 à 6 ans). Aussitôt que je l’ai su, j’ai senti qu’il y avait un lien d’une puissance folle entre la pédagogie Montessorienne (totalement dédiée au bien-être de l’enfant) et le destin tragique de cet enfant magnifique et d’une humanité hors norme. C’était indéfinissable, et au-delà des mots. J’ai mené ma petite enquête et reconstitué l’histoire. Par exemple, grâce à Google Earth, j’ai pu voir que Maria et Anne habitaient à 10 minutes à pied l’une de l’autre. Et ainsi de suite... Je pouvais parler de l’apprentissage Montessorien pour les 3/6 ans, à travers le regard d’Anne Franck. Et faire comprendre quelque chose, sans avoir à passer par les mots.
Des projets créatifs en vue ?
Je travaille sur mon prochain album (au scénario et au dessin). Ce sera un thriller historique qui s’intitulera La Femme la plus Dangereuse du Monde, et qui paraîtra à la rentrée prochaine chez Steinkis. Ensuite j’enchaîne sur Une Immigration Française, sur un scénario de Flore Talamon, à paraître chez Delcourt au printemps 2024, si tout se passe bien. Je vais très bientôt parachever une conférence /exposition sur « L’analyse critique des Images ». Un projet que j’avais amorcé en 2005. Je l'ai ensuite activement monté depuis les attentats de Charlie en 2015, après m’être rendu compte qu’aucune étude de sémantique visuelle n’existait. Cela m’aura pris 8 années de travail de recherches et d’étude de terrain au gré de résidences, cours, et ateliers, auprès de tous les publics possibles et imaginables ( Écoles, colloques, universités, prisons etc..). Cette étude scientifique sur les Images et les mécanismes de l’humour est unique au monde. Il n’en existe pas d’équivalent. Je l’ai validé une première fois, devant des doctorants lors d’un workshop à l’Inalco. Tout cela se présente sous la forme de cours, de conférences, et maintenant c’est devenu une exposition. À notre époque mondialisée, où le langage universel N°1 est l’image, il était plus que temps d’offrir des outils d’analyses adaptés, précis et applicables, au plus grand nombre.
Par Eva Kopp pour Toulouscope